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dulcinea ou l'ardeur de la passion

18 mai 2005

Chapitre I

Londres 1890

« - Jamais ! Jamais ! »

Une fois de plus, une querelle venait d'éclater dans le Grand Salon de Davecot House. Les voix résonnaient sous le haut plafond de la vaste et luxueuse salle, et les lustres dorés Louis XVI en tremblaient presque.

« - Oh, Dulcinéa ne faîtes pas l'enfant. Toutes les femmes se marient un jour ou l'autre. Soyez raisonnable pour une fois ! s'exclama Lady Oldtrick, irritée.

- Jamais ! Scanda la jeune fille dont la peau diaphane s'empourprait un peu plus avec l'ardeur de son discours.

- Une jeune fille respectable est avant tout une jeune fille mariée ! Tout le monde sait cela ! Vous vous adoucirez avec l'âge et vous agirez selon l'usage.

- L'usage ? Pourtant vous n'avez vous-même jamais été mariée, fit remarquer Dulcinéa, les yeux vifs. Les joues de Lady Oldtrick rosirent et elle prit un air exagérément scandalisée.

- Vous feriez bien de renoncer à ce ton insolent ! Une femme du monde ne parle pas à tort et à travers, elle attend qu'on l'invite à intervenir et elle se contente d'être agréable !

- J'espère que vous mesurez vos paroles, ma tante ! Ce que vous soutenez est infiniment dégradant et humiliant pour la femme ! »

Cette dispute réveilla soudain en Dulcinéa le souvenir de sa mère. Ces parents étaient morts alors qu'elle n'avait que 8 ans, dans un terrible accident de train. Cela faisait maintenant douze ans qu'elle vivait donc sous la férule de sa tante, une vieille femme très en vue à la Cour du Roi de par ses connaissances en l'art des bonnes manières et des commérages... Elle avait des idées très limitées en ce qui concernait l'éducation de sa jeune nièce, et selon elle, la seule manière de calmer son impétueuse jeunesse était de la marier. Cette idée aurait sans aucun doute déplu à la mère de Dulcinéa. En effet, c'était une femme très ouverte d'esprit, et elle n'hésita pas à le montrer en apprenant à sa fille à monter à cheval dès son plus jeune âge. Un jour, Dulcinéa avait surpris une conversation assez mouvementée entre sa tante et sa mère, une seule phrase lui en était restée : « Si un garçon peut le faire, alors ma fille aussi ! », ce qui n'avait pas laissé Lady Oldtrick indifférente...

A la mort de sa mère, elle avait été en mesure d'appliquer ses méthodes restrictives et autoritaires. Dulcinéa en avait énormément souffert, et maintenant qu'elle avait mûri, elle n'était pas prête à se laisser faire, décidée à se battre pour sa liberté. Elle avait très peu de souvenirs de ses parents. Leurs visages s'effaçaient un peu plus chaque jour malgré ses efforts pour les garder dans son esprit. Il y restait une chose qu'elle ne pouvait oublier, le jour de leur départ. Elle avait sept ans à cette époque. Sa mère était une femme magnifique, enviée par toutes les lady de Londres. Aucune créature ne pouvait égaler sa grâce lorsqu'elle portait ses robes à crinolines étourdissantes, ces cascades de tulles et de satin des plus raffinées. Dulcinéa avait hérité de sa beauté. Lorsque Lady Oldtrick la regardait, elle voyait les mêmes yeux verts impérieux, les mêmes longs cheveux roux aux reflets blonds et cuivrés, la même prestance insolente. Lady Rockstick vivait encore à travers sa fille, ce qui déplaisait à la vieille tante qui n'avait jamais supporté le caractère passionné de la défunte. Le soir du drame, Lady Rockstick avait pris les mains de sa fille et lui avait parlé comme à une adulte.  « Ta tante va te garder pendant quelques jours, ne t'inquiète pas, ma chérie, nous reviendrons vite. Ce n'est qu'une stupide histoire d'héritage, les papiers seront déjà prêts ». Dulcinéa avait respiré le parfum de jasmin de sa mère en rêvassant. Elle l'avait regardé s'éloigner, admirative, se promettant de ne pas pleurer pour ne pas la décevoir. Son père, quant à lui avait déposé un baiser sur son front et s'était hâté de gagner le phaéton, pressé de régler cette importune affaire. C'était un homme chaleureux dont le visage reflétait l'extrême bonté. Il n'avait jamais été jaloux du succès de sa femme et était prêt à tout pour la satisfaire, fou d'amour pour celle qui lui avait dit oui à l'âge de 17 ans. Dulcinéa avait gardé de lui cette générosité et cette gentillesse un peu naïve. C'était une jeune fille simple qui se contentait de longues chevauchées dans les vertes prairies pour se sentir pleinement heureuse. Elle avait regardé le phaéton s'éloigner avec un petit pincement au coeur. Elle avait senti que quelque chose allait se produire et que la main de sa tante sur son épaule n'allait pas lâcher prise si facilement. Le lendemain, un cavalier élégamment vêtu leur avait apporté la nouvelle. Le train avait déraillé, ne laissant aucun survivant. Le monde de Dulcinéa s'était alors écroulé. Il n'était plus question de robes luxueuses, de conversations engagées, de fastueux dîners, d'après-midi entières à califourchon sur son cheval, Angel. Non. Tout ceci avait été remplacé par des toilettes austères, des journées cloîtrées dans un manoir sordide et des sourires timides ponctuées de remarques hypocrites lors des rares et ennuyeuses réceptions de Lady Oldtrick. Mais Dulcinéa n'avait pas été totalement domptée. Tous les domestiques lui portaient un amour sans borne et cédaient au moindre de ses caprices. Ainsi, elle se soustrayait  à la tyrannie de sa tutrice dans de fugitifs instants de chevauchées fougueuses à travers le parc du manoir. Lady Oldtrick

ne s'était pas contentée de la retenir prisonnière puisqu'elle jouissait intégralement de l'héritage de Dulcinéa qui n'en avait jamais eu la disposition. La jeune fille n'avait pas osé reprendre sa tante à ce sujet, craignant quelques fermes représailles.

« Décidément, vous êtes bien comme votre mère, un animal sauvage. Mais même les animaux féroces peuvent être domptés ! Clama Lady Oldtrick.

- Je crains ne pas saisir le sens de cette métaphore chère tante. Mais peut-être est-ce trop subtil pour moi. Après tout, je ne suis qu'une faible femme...

- Il n'y a vraiment rien à faire avec vous ! J'ai tout essayé pour faire de vous un parti acceptable mais il semble que les liens du sang sont plus forts qu'une solide éducation. Et bien soit ! Puisqu'il n'y a pas d'autres solutions...

- Parlez-moi franchement. Je n'aime pas ces mystères, ordonna Dulcinéa soudain blême et tremblante.

- Et bien, cet après-midi un phaéton se postera devant Davecot house et il vous conduira à la gare ou vous pourrez dire adieu à votre Londres chérie, annonça Lady Rockstick, triomphante.

- Un...phaéton...la...gare... Mais...je...je...ne...comprend...pas, balbutia-t-elle, choquée.

- Auriez-vous perdu votre éloquence ma jeune nièce ? Et bien oui, vous serez en Ecosse dans la soirée et vous y resterez, j'y veillerai personnellement. »

Les yeux verts  de Dulcinéa perdirent leur impétueuse ardeur juvénile. Elle sentit son coeur se serrer dans sa frêle poitrine et vit les murs de Davecot House tourner dans un entêtant tourbillon effréné. L'Ecosse. Le pays qui lui avait arracher ses parents. Ce pays qu'elle avait maudit depuis ses sept ans. Le pays où elle aussi allait se laisser mourir. Elle crut défaillir tandis que sa tante la dévisageait d'un air satisfait.

« Mais ...pourquoi ? Pourquoi ? Répéta-t-elle, ses yeux de jade dans le vague.

- Parce qu'il est temps pour vous de trouver un homme qui puisse vous dompter. Cette mascarade n'a que trop duré. Vous irez chez votre oncle le Comte Mc Conrad. Sa réputation n'est plus à faire. Il connaît tout le beau monde écossais et a ses entrées un peu partout. Il ne va sûrement pas tarder à vous trouver un époux. C'est peut-être même déjà fait. Que ne ferait-il pas pour ce débarrasser d'une nièce impertinente telle que vous ? Et vous avez plutôt intérêt à vous tenir tranquille ou il vous choisira le plus détestable de vos prétendants. Faîtes bonne mine et vous pourrez espérer le plus fortuné. Je compte sur vous, ma réputation est également en jeu !

- Alors c'est ça, vous allez vous débarrasser de moi afin de pouvoir dépenser MON argent à votre aise ! Ce n'est pas en m'envoyant en Ecosse que vous serez tranquille ! Jamais je ne me marierai, plutôt mourir ! Vos abjects projets ne me feront jamais céder. Jamais ! » A présent, la peau d'hermine de Dulcinéa avait rosit et son regard d'émeraude fixait furieusement Lady Oldtrick.

« Vous n'avez pas d'autres choix que de m'obéir, petite insolente ! Je ne tolérerais pas votre présence une journée de plus, c'est compris ? Vous vous marierez, que cela vous plaise ou non. Vous ne serez pas la première à céder ! Je souhaite bon courage à l'homme qui partagera votre existence, qu'il soit autoritaire et intransigeant comme un vrai gentleman !

C'en était bien trop pour Dulcinéa ! Elle se retint de gifler sa tante pour l'insulte qu'elle venait de proférer, car sa mère lui avait enseigné que la violence ne résolvait rien, puis elle rejoignit sa chambre aussi vite que sa lourde robe noire le lui permettait. Dès qu'elle eût verrouillé la porte, Dulcinéa s'étendit sur son lit et pleura en silence, comme quand elle était encore une petite fille effrayée par sa tante. C'est ce sentiment d'impuissance et de faiblesse qui l'obligea à se reprendre et à calmer ses pleurs. Elle ne se laisserait pas faire, elle ne permettrait pas à sa tante de la dominer ainsi ! Plus jamais ! Elle n'accepterait plus l'humiliation et la crainte, seuls sentiments que sa tante avait pu lui offrir durant toutes ces années... Son départ pour l'Ecosse, bien qu'il soit douloureux, lui permettrait de s'éloigner de son exécrable tante. Bien sûr, il y aurait ce vieil oncle, Mc Conrad, dont elle ignorait jusqu'à l'existence, mais il ne pouvait être pire que Lady Oldtrick. Sa décision était donc prise : elle quitterait Londres la tête haute, en partance pour une Ecosse inconnue et un avenir encore plus incertain...

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18 mai 2005

en hommage à Barbara

Nous avons co-écrit un livre en hommage à Barbara Cartland qui fut en quelque sorte notre mentor littéraire et spirituel.

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Notre roman s'intitule "Dulcinéa ou l'adeur de la passion" et nous éspèrons que notre ferveur stylistique et réthorique suffiront à vous combler...

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